MaxiRace Annecy, voyage aux portes de l'Ultra – Coach Magazine France

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© D.R

Pour certains, un ultra trail doit dépasser les 100 bornes. Pour d’autres, c’est au-delà de 80, voire moins s’il y a beaucoup de dénivelé. Avec 85 kilomètres et 5200 mètres de D+, qu’elle soit estampillée « ultra » ou pas, la MaxiRace d’Annecy est un sacré morceau. Patrick Guérinet, rédacteur en chef de Coach Magazine, et son acolyte Thierry Grollier, s’y sont frottés, le 25 mai dernier. Récit qui va vous faire mal aux cuisses.

MaxiRace Annecy, voyage aux portes de l’Ultra

Les petites lumières rondes des frontales brillent de partout, qui empêchent de voir des visages fatigués, tendus. La raison ? Il est 3h00 du mat’, tout simplement. Un peu tôt pour un départ de course, mais les organisateurs ont fait le choix, pour cette 8ème édition, de revenir à l’horaire historique de de départ de la MaxiRace lors des Championnats du monde de trail de 2015, 3h30 du matin, afin que les coureurs puissent atteindre le Semnoz, sommet de la première difficulté du jour, après 18 kilomètres d’ascension quasi non stop, aux premières lueurs de l’aube. Soit ! 1771 coureurs sautillent donc dans les différents sas de départ, sur les rives du lac d’Annecy, sous les lumières bleues des projecteurs, moins agressives que des blanches. Avec nos dossards élevés, Thierry et moi sommes au fond de la classe, dans les derniers. Comprenez : ça va bouchonner sec dans les premiers kilomètres. Mais c’est le jeu, la MaxiRace est une course très prisée, on le savait d’avance quand on a décidé de s’y frotter, ce n’est pas maintenant qu’on est dans la nasse avec les autres poissons qu’on va s’en étonner…

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3h30 pétantes, le top départ est donné pour les élites, parmi lesquelles le favori Michel Lanne, l’un des tous meilleurs traileurs français, 3e en 2016, 2e en 2017, clairement venu pour gagner cette année. Je rigole en pensant qu’il aura sans doute franchi la ligne d’arrivée avant même que j’ai atteint la mi-course. Ces mecs-là arrivent à tenir une moyenne de 10 km/h pendant près de 100 bornes, que ça monte ou que ça descende, un truc de dingue. Pour ma part, après avoir fait mes petits calculs en fonction du profil de la course et de mes statistiques de vitesse sur des reliefs similaires, puis avoir intégré une variable « fatigue » (ni Thierry ni moi n’avons jamais couru plus de 65 kilomètres), j’en suis arrivé à la conclusion que nous devrions mettre en 17 et 18 heures pour faire le tour du lac, si nous arrivons au bout. Long way…

Maxi queue leu leu

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Après 3 petits kilomètres de mise en jambes, le ton est donné : premier bouchon. Comme je le disais juste avant, en partant dans les derniers, faut pas s’attendre à avoir un boulevard devant soi. C’est donc métro aux heures de pointe, une jolie file indienne, guirlande de frontales, qui grimpe peu à peu dans la forêt, sur des sentiers où l’on peut tout juste tenir à 2 de front. Gros avantage : nous ne nous fatiguons pas. Gros inconvénient : nous ne pouvons pas avancer à notre rythme, et restons parfois à l’arrêt plusieurs minutes, dès qu’un tronc d’arbre est en travers du chemin ou qu’une plaque de neige impose un ralentissement. Rien de bien grave dans l’absolu, sauf qu’il y a toujours des traileurs irrespectueux pour essayer de doubler par les bas-côtés (on attend tous de passer, connard, reste derrière et respecte les autres), et surtout que le chrono tourne, inexorablement. Or l’une des difficultés annoncées de la course, c’est de respecter les barrières horaires, ces limites fixées par l’organisation à certains points de passage, qui entraînent la mise hors course si vous arrivez avec ne serait-ce que 5 petites minutes de retard. D’après mes savants calculs, on doit pouvoir passer sans trop de souci, Thierry et moi, genre 30 minutes de marge au début, et jusqu’à deux heures de marge en fin de course si tout va bien. Sauf qu’à coup de 5 minutes d’immobilisation par ci, 10 minutes de ralentissement par là, la marge, elle fond comme neige au soleil.

Maxi gadoue

Le soleil, parlons-en. Alors qu’il brillait et tapait fort la veille, il est ce matin aux abonnés absents, remplacé par une pluie fine qui détrempe le sol, réjouit les vaches mais transforme les sentiers de terre en une belle gadoue bien glissante. Mettez au milieu de tout ça des racines traitresses, saupoudrez de cailloux arrondis et vous obtenez un vrai sentier casse-gueule, où la moindre inattention peut vous envoyer dans le décor.

C’est donc à une vitesse d’escargot en rodage que nous nous extirpons progressivement de la forêt pour atteindre le sommet du Semnoz, au 18ème kilomètre, où se trouve le premier ravito, bien après le lever du jour (on ne parle pas de soleil, compris !). Evidemment, le chapiteau dressé pour la circonstance, capable d’accueillir une centaine de coureurs, est plein comme un œuf et déborde de toutes parts. Je le traverse en jouant des coudes, une poignée de secondes devant Thierry qui semble ne pas souffrir de sa récente déchirure au mollet. Le stand « soupe chaude » étant pris d’assaut, je me contente de quelques quartiers de pomme et de morceaux de banane, et plonge dans la longue descente vers Saint-Eustache, au kilomètre 27. 

Maxi retrouvailles

Les bouchons en montée, c’est simple : on attend. En descente, c’est plus compliqué, car sauf à accepter de ne pas courir du tout, il faut doubler. « Je passe à droite », « Je passe à gauche », je me faufile comme je peux, prenant quelques risques pour ne pas importuner ceux que je dépasse, mais résolu à avancer enfin à mon rythme. Soudain, alors que je traverse un petit village, j’aperçois un chapeau de paille qui m’est familier.

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Vincent ? Eh oui, il s’agit bien de Vincent Gaudin, avec qui j’ai partagé la tente durant le Marathon des Sables, un mois et demi plus tôt. Son éternel Panama sur la tête, sa petite caméra à la main, Vincent profite de ces retrouvailles pour faire une petite vidéo où il me chambre sur mon abandon au MDS. C’est de bonne guerre, on rigole et je lui emboîte le pas en papotant, trop heureux de ce hasard qui nous a fait nous croiser ici. Grand connaisseur de courses, Vincent me conseille de m’économiser jusqu’à Doussard, kilomètre 45, à l’autre bout du lac d’Annecy, où se situe le 2ème ravitaillement. « La course commence après Doussard, tu verras, ça monte fort, c’est là que ça se joue. » S’économiser ? OK, alors je m’économise et laisse Vincent filer, même si je ne sais pas trop comment en fait pour s’économiser en trail. Et c’est en petite foulée, sans forcer, que j’atteins le second ravito, un immense gymnase, pour poser mes fesses sur une chaise, boire, manger, me masser les cuisses, souffler un peu et attendre Thierry, qui ne doit pas être bien loin.

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Maxi fatigue

Après 10 minutes de pause, j’envoie un SMS à Thierry (« Je décolle de Doussard ») et décide de repartir, histoire de ne pas m’endormir sur place. 2 kilomètres plus loin, alors que Thierry m’a répondu qu’il était bien arrivé à Doussard et repartait aussi, je m’aperçois que le terme « décollage » est totalement inadapté : la longue, très longue montée vers l’Aulp, en passant par le col de la Forclaz, vient tout juste de commencer et j’ai les jambes coupées. Les paroles de Vincent me reviennent en mémoire, c’est là que ça se joue, il faut serrer les dents. La pente n’est pas monstrueuse (il y aura bien pire après), mais la montée dans la forêt semble interminable. Je double certains concurrents hagards, à la dérive, d’autres qui soufflent, assis sur des troncs d’arbres, des pierres, cherchant leur souffle. Je m’assieds également plusieurs fois pour m’alimenter, me masser les cuisses, prendre mon temps. Je n’ai pas vraiment mal, mais commence à être rattrapé par la fatigue. Il est midi et demi, cela fait 9 heures que je suis parti et j’ai encore plus de 35 kilomètres à avaler. Une histoire de mental, tout ça.

Maxi coup de bambou

Des bruits de cloches, des gens qui crient, des applaudissements. Je suis encore dans la montée, en pleine forêt, mais j’entends les encouragements, signe que le sommet est proche. Le moral grimpe en flèche, la délivrance est proche. Dernier coup de cul, et voilà le fameux col de la Forclaz franchi. Petits saluts amicaux aux spectateurs, remerciements, je plonge dans la descente pour rejoindre le ravito en eau de La Côte – Montmin, au 50ème kilomètre. L’enchaînement montée / descente fait un peu hurler mes quadriceps, mais mes massages préventifs font le job : aucune crampe à l’horizon, tout baigne. J’accélère le rythme, ravi de constater que mes jambes suivent, quand soudain le souffle vient à me manquer : devant moi, au loin, une énorme montagne. Et sur cette montagne, des petits points en mouvement, en file indienne. Argh ! Et ce n’est pas de la grimpette papi-mamie, ça monte droit dans la pente, en mode warrior. Je cherche un caillou, me pose, regarde là-haut, bois un coup et repars. OK, quand il faut y aller, il faut y aller !

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Maxi raide

La technique est simple : coller le nez dans le chemin, ne pas regarder devant, encore moins en haut. Eventuellement derrière, pour voir ceux qui, plus bas, viennent d’entamer la montée et doivent encore tout se taper, mais surtout pas en haut, sous peine de plonger immédiatement en dépression. Bon, un micro coup d’œil de temps en temps, histoire de savoir où on va, mais pas plus. La pente devient raide, la pluie intense, puis tout s’éclaire soudain au passage du chalet de l’Aulp. Petite descente, de la boue, de la neige, ça glisse, et la deuxième lame tombe comme un couperet : une montée encore plus raide que celle que je viens de me manger, avec visiblement des zones techniques où il faudra mettre les mains, tout là-haut dans la montagne. Je recolle mon nez sur le sentier, reprends mon rythme pépère et avale les mètres, les uns après les autres, résigné mais déterminé.

Maxi fun

Une dernière rampe, une corde pour s’aider à grimper et ne pas basculer dans le vide, et c’est la délivrance. Au sommet, une vingtaine de concurrents sont assis de chaque côté du chemin, visiblement épuisés mais heureux d’avoir franchi LA super difficulté du parcours.

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Un coup d’œil au profil de la course reproduit sur le dossard le confirme : il le reste « plus » qu’une immense descente, un ravito, la montée du Col des Contrebandiers et ce sera la descente vers l’arrivée. Encore 30 kilomètres, certes, mais qui ont un parfum de victoire. Sans traîner (il fait froid, et il pleut limite neige), je trace mon chemin, ou plutôt ma piste, dans les névés qui recouvrent le passage. Quelques trailers tentent des descentes en mode ski, d’autres se prennent des gamelles monumentales, je rigole, je fonce. La neige passée, il est temps d’attaquer une immense descente sur une sorte de piste forestière très pentue, véritable calvaire pour les cuisses. Si je déroule, ça va trop vite et je vais exploser mes quadris. Si je me ralentis, je force pour freiner et vais exploser mes quadris. Bref, j’explose mes quadris, 5 kilomètres durant, dépassant des concurrents en perdition, me faisant doubler par des extraterrestres montés sur ressorts, et rallie enfin le troisième ravito, à Menthon-Saint-Bernard. Petite salade de pattes, jambon, noix de cajou, morceaux de banane, plein de St-Yorre, c’est la fête au village, il ne reste que 17 kilomètres, la partie est presque gagnée.

Maxi déluge et tremblements

C’est alors que les éléments se déchaînent. Le Col des Contrebandiers tout d’abord, pas trop exigeant sur le papier, terrible dans la réalité, avec encore des passages super raides où il faut mettre les mains. Et puis la pluie, qui redouble, froide, terrible. Bien sûr, je pourrais enfiler ma veste, mais j’ai la flemme, et de toute façon je suis archi trempé. En mouvement, j’ai froid mais ça passe. Je passe le col, j’accélère, dernière descente, de la boue partout. Ça glisse comme jamais, mais j’attaque. Ne pas tomber, pas maintenant. Au panneau des 3 kilomètres, je souris. « Courage », me lance une dame. Bah à ce stade, c’est plus la peine, Madame, je suis déjà arrivé dans ma tête. Et puis soudain, un dernier passage étroit, la route, et le lac. L’arche d’arrivée est en vue, à un kilomètre à peine. Je fonce (je serai « flashé » à 13,6 km/h!) et franchis la ligne, 16h et 39 minutes après être parti du même point, frigorifié mais heureux, sous les bravos de la foule, nombreuse malgré la météo. Finisher ! En guise de médaille, un super sac de sport Salomon dans lequel je fourre toutes les fringues pourries de pluie et de boue, avant d’enfiler un tee-shirt et une veste pas trop humides qui étaient planqués au fond de mon sac. Je décide de m’offrir une bière en attendant Thierry, mais le froid me rattrape, je suis pris de tremblements incontrôlables, au point de renverser ma bière. Parkinson avant l’âge, terrible. J’envoie un SMS à Thierry, rendez-vous à l’hôtel, je file prendre une douche brûlante. Il arrivera, un peu plus d’une heure plus tard, finisher épuisé mais heureux. Nous avons vaincu la MaxiRace, sur laquelle, nous l’apprendrons plus tard, près de 500 coureurs ont calé, soit par abandon, soit victimes des fameuses barrières horaires. Un véritable exploit pour nous, à deux mois de notre premier VRAI VRAI ultra, la CCC, 101 km et 6000 de D+, à Chamonix, fin août, dans le cadre des courses de l’UTMB. Mais maintenant, REPOS !

Par Patrick Guérinet